samedi 28 février 2009

Stratégie & turbulence ?

"Le plus grand danger, dans les moments de turbulence, ce n'est pas la turbulence ; c'est d'agir avec la logique d'hier." P. Drucker

vendredi 27 février 2009

L'excentricité et la stratégie ?

J'ai reçu récemment en cadeau de Mark Raison (http://www.ideesjaunes.com) un petit livre sympathique dénommé "Six excentriques" publié dans la collection NRF de Gallimard.

L'auteur, Michel BRAUDEAU, y présente, après une intéressante et savoureuse introduction, 6 excentriques plus ou moins connus.

Je souhaite partager avec vous certains extraits et faire le lien avec la stratégie d'entreprise.

Qu'est ce que l'excentricité ? Selon le dictionnaire, ce mot qui date de 1634, désigne en géométrie un éloignement du centre. Dans le langage courant, une manière d'être, de penser, d'agir qui s'éloigne de celle du commun des hommes.

Un "excentrique" serait un individu dont la manière d'être est en opposition avec les idées reçues.


L'analogie est facile avec la manière d'entreprendre. Dans un monde d'hypercommunication, où les produits et services sont copiés très rapidement, où l'information sur ceux-ci circulent très rapidement, où les barrières à l'entrée sont de moins en moins importantes, la différenciation n'est plus une option : les entreprises doivent trouver comment formuler une proposition de valeur qui réponde mieux, ou différemment, aux besoins de ces clients de plus en plus exigeants et de moins en moins fidèles. L'alternative étant de trouver de nouveaux moyens de délivrer une proposition de valeur existante.

Alors, l'entreprise créative serait-elle excentrique ? L'excentricité serait-elle un facteur de succès dans le monde entrepreneurial ?

D'après l'auteur, un excentrique n'est pas pour autant un fou. Au contraire, il s'arrêterait plutôt au seuil de la folie, il flirte avec la frontière, la frôle sans la franchir. L'excentrique serait conscient de ses limites. Mais ce qui caractérise sans nul doute l'excentrique, c'est l'acceptation de soi.

Dans leur ouvrage, Eccentrics, a study of Sanity and Strangeness (Kodansha Globe, 1995), David Weeks et Jamie James proposent une série de traits communs de la plupart des excentriques. Examinons-les et tentons de voir si ces traits (lorsque c'est applicable à une entreprise bien sûr) peuvent constituer aujourd'hui, a priori, des facteurs-clés de succès pour nos entreprises qui évoluent dans ce monde hyper-concurrentiel.

  1. Non-conformisme : Oui, pour s'imposer dans des marchés globalisés, une bonne dose d'anti-conformisme est la bienvenue. Sinon, comment échapper à la stratégie du "me-too" ? La plupart des projets de nouvelles entreprises qui nous sont présentés sont de simples imitations d'offres existantes. L'exemple du Cirque du Soleil qui a secoué les propositions de valeurs du secteur est un bon exemple de non-conformisme réussi.
  2. Créatives : Oui également. Si l'on veut innover dans sa proposition de valeur, il faut être créatif, chercher à résoudre des problèmes qui ont de la valeur de manière innovante. Trouver les manières de faire qui créent plus de valeur.
  3. Curiosités : La curiosité serait un premier pas vers l'intelligence. C'est aussi à mon sens un facteur-clé de succès des entreprises actuelles. Être et rester curieux, pratiquer l'intelligence économique, stratégique, mais aussi préserver sa capacité de s'étonner.
  4. Idéalistes : Oui, sans doute, de belles entreprises récentes ont utilisé des idéaux pour construire de superbes entreprises. Google dont la devise est "Don't be evil" et qui en préservant le cœur de sa page de la tentation d'y mettre de la publicité, ou en évitant de faire payer les premiers résultats des recherche, s'est construit une réputation de fiabilité et d'efficacité. Ebay, dont le business modèle repose sur un idéal de confiance vis-à-vis de ses utilisateurs et surtout dans le fait que cette confiance soit importantes entre vendeurs et acheteurs.
  5. Obsédés : Oui, je pense que, quand on entreprend, il faut être obsédé, que ce soit par la volonté de satisfaire le client, de résoudre son problème, de chercher une solution, d'être le meilleur. Une obsession bien ciblée peut créer beaucoup de valeur ... ou de différenciation.
  6. Conscientes de leurs différences : Cette conscience est un des éléments-clé permettant de construire une différenciation, de formuler une proposition de valeur unique sur un marché. Plus je suis conscient de ma différence, plus je peux comprendre ce qui va permettre de me différencier.
  7. Intelligentes : Bien sûr, cette intelligence est un facteur-clé de succès. Elle permet une manière de voir les choses et d'exécuter qui contribue à la différenciation.
  8. Justesse de leur points de vue : Le positionnement adéquat sur un marché est un facteur-clé de succès. Lorsqu'un entrepreneur dispose d'un point de vue clair et précis sur le fonctionnement d'un marché, sur les besoins spécifiques de certaines catégories de clients, sur les évolutions futures de segments de marché, oui c'est un atout crucial.
  9. Dépourvues d'esprit de compétition et de désir de reconnaissance : Là bien sûr on peut s'interroger. Quoique : prenons l'exemple de Google dont les 2 créateurs n'avaient aucune autre ambition que de formuler un beau geste technologique dans le cadre de leur thèse. Pendant des mois, ils ont opéré sans business modèle monétisable et sans esprit de compétition, cherchant seulement à engranger de plus en plus d'utilisateurs ... et c'est bien le modèle adopté par de plus en plus d'entreprises de type web 2.0. ou d'entreprise ayant créé des océans bleus et où la concurrence n'est pas relevante.
  10. Mode de vie inhabituel : Oui, pour reprendre Google, le mode de gestion des ressources humaines, ou l'environnement de travail peuvent être considérés comme inhabituel. Mais est-ce un facteur-clé de succès ? Oui, sans doute, au-delà du simple alignement de l'environnement interne sur le positionnement adopté par l'entreprise, cet environnement contribue à l'ambiance de créativité et de non-conformisme qui va stimuler la production de réponses aux défis de demain.
  11. Indifférente à l'opinion : Oui, mais ... ! L'entreprise ne peut pas faire fi de l'opinion, c'est clair. Plutôt qu'un facteur-clé de succès, cette attitude serait plutôt un risque, surtout pour une entreprise cotée faisant appel à un financement public.
  12. Sens de l'humour : Oui, pourquoi pas ! Ce sens de l'humour peut rendre l'entreprise sympathique, voire faciliter la communication.
  13. Célibataires : Relevant ou non-relevant ? Si l'on considère qu'une entreprise célibataire serait une entreprise "stand-alone", qui évite les fusions et manie les acquisitions avec discernement pour préserver son ADN, pourquoi pas ...
  14. Ainés d'une fraterie ou enfants uniques : Cette caractéristique nous renvoie plutôt aux créateurs qu'à l'entreprise elle-même.
  15. Souffrant d'une mauvaise élocution : Ce critère n'est pas relevant bien sûr ...
Alors, une entreprise innovante peut-elle être excentrique ? Est-ce que l'excentricité peut contribuer à nourrir une proposition de valeur unique ?

En tous cas, la grande majorité des caractéristiques de ces excentriques sont des savoir-être utiles dans le processus de génération d'une entreprise qui se différencie de la norme de son marché.


L'introduction qui précède la présentation des 6 excentriques se clôture par ces mots :

"Livré aux seuls gens normaux, le monde n'aurait pas un grand avenir".

Alors, qu'en pensez-vous ? Avez-vous envie de créer une entreprise normale ou plutôt excentrique ? ;-)

Bruno Watt

Le concept à la mode : la Blue Ocean Strategy !!!

« Go where the profit and growth are, and where the competition isn’t »

D'après une étude scientifique à la base de la conceptualisation de cette stratégie, 86% des lancements de nouveaux produits sont en fait de simples extensions de produits existants. Pas étonnant donc que ces produits peu innovants ne représentent que seulement 39% des bénéfices engrangés, comparativement aux 14% de lancements restants, innovants eux, et qui représentent 61% des bénéfices.

Marchés saturés, hyper concurrence, circulation rapide de l’information, déstructuration des marchés, disparition des barrières à l’entrée dans de plus en plus de secteurs, nouveaux canaux de distribution, … Comment échapper à la fatalité de cette spirale infernale qui condamne l’entreprise à améliorer sans arrêt ses produits, à optimiser en permanence sa chaîne de valeur, à rogner toujours un peu plus ses marges, à surveiller de près une concurrence chaque jour plus âpre ?

Existe-t-il une alternative à cette fatalité ? Comment Apple, The Body Shop, eBay, Swatch, le Cirque du Soleil, arrivant sur des marchés saturés, ont-ils pu s’affranchir de cette spirale infernale et conquérir de nouveaux marchés où ils s’épanouissent plus ou moins à l'abri de l'hyper-concurrence ?

Au terme de quinze années de recherche dans trente secteurs d'activité différents, deux professeurs de stratégie, W. Chan Kim et Renée Mauborgne, ont décrit une alternative stratégique à cette fatalité, un positionnement alternatif qu'ils nomment la « Stratégie Océan Bleu » ... par opposition à l'Océan Rouge qui représenterait cette sanglante hyperconcurrence ...

Dans des industries surpeuplées, où les produits se ressemblent de plus en plus et où la guerre des prix fait rage, il difficile et épuisant, voire impossible de maintenir une performance élevée sur plusieurs années.

Se trouver, entrer ou rester en concurrence au cœur de l'industrie existante et hyper concurrentielle, en essayant de voler des clients aux rivaux est appelé par ces deux professeurs la « Stratégie sanglante » ou « Stratégie Océan Rouge » :

Red Ocean Strategy

  • Concurrence dans un marché existant
  • Objectif = Battre la concurrence
  • Exploiter une / la demande existante
  • Exploiter à fond le rapport entre la valeur et le coût
  • Aligner toute la structure des activités de l’entreprise avec son choix stratégique basé soit sur la différenciation, soit sur le « low cost », soit sur le « best value ».


Pour générer une croissance rentable, l'entreprise qui se trouve dans cet environnement concurrentiel saturé, où les produits se ressemblent de plus en plus et où la guerre des prix fait rage, devrait plutôt chercher à s'affranchir des contraintes de son marché.

W. Chan Kim et Renée Mauborgne suggèrent donc une alternative, la « Stratégie Océan Bleu » qui consiste à « Développer un espace non encore concurrentiel sur le marché ce qui rend la concurrence non pertinente. »

Pour sortir de « l'océan rouge » de la concurrence, l’entreprise doit donc trouver ce nouveau marché, ce nouvel espace non encore concurrentiel. La solution réside en général dans l’innovation, technologique parfois, mais aussi et surtout dans l’organisation, le choix des produits, de la manière dont ils sont délivrés, de nouvelles manières de capturer de la valeur.

L’entreprise doit effectuer ce qu’on peut appeler un saut de valeur, un véritable déplacement stratégique qui doit créer cet espace de marché entièrement nouveau, ce qu’ils appellent un « Océan bleu ».

Avantageuse, cette stratégie « Océan Bleu » permet également aux leaders de gagner une prime : ils peuvent sauter jusqu'à un an en avant de la compétition et prendre le temps d'établir leur identité de marque.

Blue Ocean

  • Créer un espace de marché non contesté
  • Rendre la concurrence non-relevante
  • Créer et capturer les nouvelles demandes
  • Casser le rapport entre valeur et coûts
  • Aligner toute la structure des activités de l’entreprise sur la poursuite de la différenciation et du low-cost.


Apple, The Body Shop, le Cirque du Soleil, eBay et Swatch ont connu une réussite éclatante parce que ces entreprises ont su, à partir de leur espace de marché connu, ouvrir et conquérir des espaces stratégiques encore vierges et créer une demande entièrement nouvelle.

Les auteurs citent plusieurs exemples de succès océan bleu dont le fondateur du Cirque du Soleil. Ainsi, au lieu de lutter pour se tailler une place parmi les cirques déjà en déclin, Guy Laliberté a réinventé cet art en produisant un spectacle qui n'avait pas de précédent. Par rapport aux cirques locaux et aux leaders du marché, le Cirque du Soleil a supprimé certaines valeurs (les animaux, trop coûteux à entretenir, les stars coûteuses et finalement peu connues, …), réduit certaines autres (les numéros de clown et d’humour, les numéros dangereux, …), augmenté d’autres (les lieux uniques, …) et surtout créé de nouvelles valeurs (les thèmes, les environnements luxueux et raffinés, les productions multiples, la dance et la musique). De cette innovation est né un nouveau marché océan bleu, toujours en croissance aujourd'hui ... et qui voit apparaître lentement de nouveaux acteurs, comme Cavallia par exemple.

Cette stratégie alternative appartient principalement à ceux qui peuvent combiner innovation et création de nouveaux marchés et elle peut paraître évidente, ou constituer un objectif relativement commun. Mais comment faire alors et surtout pourquoi tout le monde ne le fait pas ?

Les auteurs recommandent d’abord de ne plus se focaliser uniquement sur le « benchmaking » de ses concurrents pour conduire sa barque. Même s’il faut se comparer aux acteurs du marché, s’évaluer par rapport à leurs performances, la manière dont ils déploient leur process, cette comparaison obsessionnelle ne peut que contribuer à enfoncer l’entreprise dans l’hyper concurrence en la faisant ressembler à ses concurrents. L’entreprise doit donc s’affranchir de la tentation rassurante de devenir une « me-too » entreprise.

Ensuite, il est recommandé de ne pas se contenter de regarder vers ses clients existants, mais de plutôt regarder vers les clients potentiels, les clients non encore satisfaits par le marché, les clients qui ont les moyens, … ce sont eux qui vous donneront le plus grand aperçu des horizons nouveaux vers lesquels vous pourriez voguer.

Les entreprises qui visent à quitter les « Océans rouges » doivent enfin s'organiser autour de règles souvent fort différentes de celles auxquelles elles sont habituées. Au lieu de tenter de contrôler le comportement erratique d'un marché ou de se battre pour rencontrer les objectifs de performance à court terme, les leaders de l'océan bleu doivent plutôt encourager leurs collaborateurs à devenir plus coopératifs, flexibles et créatifs, à mieux connaître les nouvelles technologies, mieux connaître les clients, segments, par segments, décloisonner les équipes, horizontaliser les structures, stimuler l’intrapraneuriat, … Bref, ici aussi, rien ne remplace le "customer intimacy".

Les leaders océan bleu créent un environnement promoteur de développement créatif, de leadership et d'empowerement (self-empowerment) facilitant ainsi l'émergence de l'innovation. De cette façon, ils s'assurent d'une viabilité et d'une prospérité à court, moyen ou long terme.

Voici les 5 règles qu’une entreprise devrait suivre pour entreprendre une stratégie océan bleu :

  1. Solidifiez vos relations avec vos collaborateurs - Nourrissez un véritable esprit d'équipe en créant des occasions d'examiner les problèmes et d'explorer les nouvelles données qui permettent à l'innovation d'émerger.
  2. Clarifiez votre vision et vos valeurs - Demandez à vos collaborateurs d'y contribuer et de s'y engager. Cela les aidera à s'adapter au chaos généré par l'innovation.
  3. Partagez l'information - Créez un environnement qui en est riche et qui incite les gens à la prospecter et à discuter de ses effets sur eux, sur leur travail ainsi que sur l'ensemble de l'organisation.
  4. Encouragez la créativité - Entretenez un niveau gérable de déséquilibre qui engendre l'évolution et l'innovation. Encouragez aussi l'adaptabilité des équipes, la flexibilité des rôles, l'apprentissage continu, et l'utilisation de techniques et d'outils de créativité.
  5. Pensez à long terme - Développez une vision large qui vous permet d'éviter les perceptions limitées. Maintenez le cap, sachant que l'innovation et l'émergence de nouveaux marchés résultent d'un processus créatif.


Est-ce que cette stratégie est franchement nouvelle ? Non, certainement pas, combien d’entreprises, de produits, de services étaient inconnus il y a 100 ans, 50 ans, 10 ans ? De nombreux océans bleus ont été créés ces dernières années.

Ce qui a changé aujourd’hui, c’est l’environnement global, c’est la capacité des entreprises à comprendre ce que font les autres, à utiliser les nouvelles technologies de l’information pour optimiser leur manière de faire … ce qui ne fait qu’accroître la pression concurrentielle.

On peut rapprocher cette stratégie « Océan Bleu » du modèle Delta d’Alfredo HAX. Le modèle Delta cherche aussi à déplacer la relation avec le client en cherchant le « Customer lock-in » ou la fixation de la relation client-fournisseur dans un marché, et le « Competitor lock-out » ou le blocage du concurrent en-dehors du marché.

On peut penser qu’on est passé progressivement d’un modèle de Stakhanov où la productivité est l’objectif, à un modèle Cobb-Douglas où l’on va jouer sur l’augmentation marginale de chacun des facteurs de production, à un modèle schumpétérien de destruction créative, … pour arriver finalement à celui de l’innovation en terme de valeur.

L’innovation seule n’est donc plus suffisante. L’innovation crée souvent des produits pour lesquels le consommateur n’est pas prêt à payer le surcoût de l’innovation.